Criminalité
Jusqu’au début du XIXe siècle, le vagabondage, la mendicité et la prostitution sont relativement tolérés au Québec. Dans un contexte d’urbanisation et d’industrialisation, la montée des inégalités sociales fait toutefois en sorte que ces activités sont progressivement considérées comme déviantes par rapport aux normes d’ordre public. La population marginalisée de vagabonds, de mendiants ou de prostituées est, en conséquence, de plus en plus criminalisée à partir des premières décennies du XIXe siècle.
Cette volonté de réprimer la petite criminalité suscite le développement et le renforcement d’institutions de régulation sociale : les forces policières, les cours de justice pénale, les établissements d’enfermement. Divers groupes qu’on dit « réformateurs » s’inquiètent cependant d’une dynamique qui entraîne des femmes, des enfants, des vieillards et d’autres groupes marginalisés devant les cours de justice et dans les prisons.
La loi et l’ordre
La police, entre répression et protection
La police occupe une place grandissante dans l’espace urbain du Québec à partir du début du XIXe siècle. L’établissement de forces municipales véritables à partir de 1842 est suivi de l’implantation progressive de postes de police à Montréal et Québec, et surtout dans leurs quartiers pauvres, comme Saint-Roch dans la capitale et Sainte-Marie dans la métropole.
En plus de se pencher sur les crimes de violence ou contre les biens, les policiers consacrent une bonne partie de leur travail à la répression des désordres publics dans les quartiers pauvres. Faute d’institutions de prise en charge adéquates, les postes de police servent régulièrement d’asiles temporaires pour des sans-abris, des prostituées, des personnes ivres ou d’autres démunis.
Les « quartiers chauds »
Les investissements importants dans les institutions judiciaires, policières et carcérales n’auront pas raison de la petite criminalité qui se nourrit de la misère urbaine. Ainsi, les forces de l’ordre n’ont d’autres choix que de tolérer, quitte à en profiter, certains comportements déviants dans des espaces bien délimités de la ville. Les débits d’alcool, maisons de jeux, bordels ou fumeries d’opium représentent bien le réseau d’institutions clandestines caractéristique des « quartiers chauds » des villes industrielles. Le quartier du « Red Light » est sans doute le plus connu à Montréal. À Québec, cette petite criminalité se manifeste dans des quartiers populaires comme Saint-Jean (lieu du Red Light de Québec au XIXe siècle), Saint-Roch ou Champlain.
En certaines occasions, l’opinion publique est grandement préoccupée par ces « quartiers chauds ». C’est notamment le cas durant les deux grands conflits mondiaux alors que les autorités s’inquiètent de l’impact de la prostitution sur la santé morale et physique des soldats. Des campagnes antivénériennes et de moralité ciblent alors principalement les travailleuses du sexe. En 1953, la commission d’enquête du juge Caron utilise une carte créée par le Y.M.C.A, en 1943. Cette dernière cartographie par exemple les maisons de débauche et les maisons de chambres de Montréal soupçonnées d’être des lieux de transmission de maladies vénériennes. Le quartier du Red Light y est évidemment bien mis en évidence. À Québec, les autorités militaires pointent du doigt vers le quartier du Palais, à proximité de la gare
La Cour du Recorder
Les personnes arrêtées par la police se retrouvent généralement devant les Cours du Recorder, en opération à Montréal et Québec à partir des années 1850 jusqu’au début des années 1950. Ces tribunaux municipaux entendent la vaste majorité des causes criminelles dans les deux villes. Elles partagent cette responsabilité avec les Cours de Police puis les Sessions de la Paix. Les Recorders (les juges) se penchent quotidiennement sur les délits qui relèvent des désordres publics.
Des gens dans des situations désespérées ont régulièrement recours à la protection de la Cour du Recorder. C’est le cas de plusieurs femmes qui cherchent à se protéger d’un homme violent, généralement avec plus ou moins de succès, comme en témoigne vraisemblablement l’histoire d’Ann Morrissey à Montréal, rapportée par le Daily Witness en 1873.
Une justice expéditive
Les Cours du Recorder ne sont pas des lieux d’une réflexion sur les causes de la misère et de la violence urbaines. Le sort d’une personne arrêtée et accusée d’un délit mineur est généralement décidé en quelques minutes. Le Recorder prend connaissance de la preuve qui se limite, la plupart du temps, au témoignage du policier. Il rend ensuite son verdict et, si celui-ci en est un de culpabilité, fait connaître la sentence. La peine de prison est habituellement de quelques semaines pour les délits liés à l’ordre public, comme le montre ce compte-rendu des décisions à la cour publié en 1879. Les Recorders cherchent moins à s’attaquer aux véritables causes de certaines activités comme la prostitution qu’à donner une image de respectabilité bourgeoise à leur ville.
Prison
Les prisons locales
La prison est de plus en plus utilisée comme moyen de régulation de la criminalité au cours du XIXe siècle, et ce, même si l’amende est la sentence la plus commune. Sauf exception, les châtiments corporels traditionnels sont remplacés par des peines d’emprisonnement. Autant Montréal que Québec sont dotées de nouvelles prisons réformées dès le début du XIXe siècle. Celle de Montréal est inaugurée en 1811, mais faute d’espace, elle est vite remplacée, d’abord par la prison dite du « Pied-du-Courant » (1836-1913) puis celle « de Bordeaux » (1913). Inaugurée à Québec en 1812, la prison de la rue Saint-Stanislas est en opération jusqu’en 1867. Elle accueille durant son ouverture au-delà de 60 000 détenus. Ces derniers y sont avant tout pour de petits délits comme le vagabondage, l’ivrognerie ou pour avoir troublé la paix. Ces hommes et ces femmes, qui ne sont parfois que des enfants, proviennent des couches les plus pauvres de la société urbaine. Parmi les quelque 150 condamnés à mort incarcérés à la prison de Québec, une quinzaine seront pendus devant la porte principale du bâtiment. À Trois-Rivières, la prison locale est en opération de 1820 à 1986. Comparée aux prisons de Montréal et de Québec, la population de cette prison reste modeste. Jusque dans les années 1920, environ 200-300 prisonniers sont écroués à chaque année.
Dès les premières années de son ouverture, la prison de Québec est dénoncée pour son encombrement, son insalubrité ou encore l’oisiveté présumée de ses détenus. En 1867, elle est remplacée par la prison des Plaines d’Abraham, plus spacieuse et conçue selon un plan plus «moderne». Ce transfert coïncide avec une diminution du nombre de prisonniers attribuable au déclin économique du port de Québec. La situation est bien différente à Montréal, où même la vaste prison de Bordeaux ne tarde pas à se remplir… et à faire l’objet de critiques répétées jusqu’à nos jours.
La discipline et les travaux forcés
Les réformateurs considèrent que le crime est le résultat d’un mauvais encadrement moral et social. La prison devrait donc réformer les criminels en leur imposant une discipline stricte et, pour plusieurs, les travaux forcés, le tout afin qu’ils ne récidivent pas. Les mesures disciplinaires violentes comme le fouet sont remplacées par d’autres techniques de contrôle telles que la contrainte physique ou la privation des privilèges. Le surpeuplement et le manque de financement ne permettent toutefois pas la mise en place du régime disciplinaire idéal. Plusieurs critiquent d’ailleurs le caractère monotone de l’enfermement et l’inactivité des prisonniers.
Des portes tournantes ?
Les insuffisances du système d’assistance expliquent pourquoi la prison devient l’une des plus importantes institutions de prise en charge de la misère urbaine, autant à Québec qu’à Montréal. Dès les premières décennies du XIXe siècle, des femmes nécessiteuses, souvent issues de l’immigration irlandaise, cherchent par exemple à se réfugier en milieu carcéral. Elles y sont contraintes parce qu’elles ne peuvent pas compter sur des réseaux locaux de solidarité et de charité privée.
L’incarcération des femmes
L’Asile Sainte-Darie de Montréal
L’Asile Sainte-Darie, administré par les Sœurs du Bon-Pasteur d’Angers, est la prison pour femmes de Montréal de 1876 à 1964. Les catholiques et les protestantes y sont détenues dans des sections séparées. Les premières sont sous la surveillance des religieuses alors que les secondes, moins nombreuses, sont sous la responsabilité de matrones protestantes laïques. La majorité des prisonnières sont incarcérées pour des crimes liés à la sexualité et à la moralité, comme la prostitution, l’ivresse publique ou le vagabondage. Il arrive couramment que de jeunes enfants s’y retrouvent en compagnie de leur mère. L’objectif de l’établissement est de favoriser la « réforme morale » des femmes, notamment des prostituées qui, en raison de leur sexualité dérangeante, sont considérées comme les antithèses de la féminité et de la maternité idéalisées à l’ère victorienne. Les incarcérations répétées de certains individus montrent bien que la « réforme » n’est trop souvent qu’un vœu pieux.
La prison des femmes de Québec
Un bâtiment séparé pour l’incarcération des femmes est inauguré dès 1829 à Québec. Cette première institution carcérale spécialisée disparaît toutefois en 1867 lors du transfert de la prison sur les Plaines d’Abraham. Il faut attendre 1931 pour qu’une institution équivalente à celle de Montréal soit remise sur pied à Québec pour servir comme prison pour femmes : le Refuge Notre-Dame-de-la-Merci (maintenant Maison Gomin). Également administré par les Sœurs du Bon-Pasteur, on y retrouve surtout des femmes canadiennes-françaises catholiques issues des milieux populaires de la ville, notamment des quartiers St-Sauveur et St-Roch. Comme au XIXe siècle, la majorité des femmes incarcérées ont été condamnées pour des crimes et délits qui dérangent l’ordre public comme le vagabondage, le désordre, le flânage et l’ivresse. D’autres sont aussi incarcérées pour des délits liés à la prostitution. La prison est fermée en 1972.
Vie en institution
Le quotidien des prisonnières est bien différent de celui des détenus masculins. Il est en effet rythmé par un horaire strict de prières et de travail laissant peu de place au repos. Les détenues doivent travailler durant environ huit heures par jour dans des ateliers de tissage, de tricot et de couture. Celles qui sont condamnées aux travaux forcés sont affectées aux corvées de buanderie et d’entretien. Le midi et le soir, elles sont sommées de garder le silence et d’écouter la lecture pieuse récitée par une sœur surveillante. Il va sans dire que ces règles sont probablement assez souvent enfreintes, comme en témoigne le récit d’une émeute à Montréal dans un article de La Patrie paru le 20 février 1882.