Vieillesse
Représentant à peine 5% de la population québécoise, les personnes âgées constituent jusqu’au début du XXe siècle un petit groupe discret qui se fond dans l’intimité des familles. Encore en 1921, plus de 80% d’entre elles vivent en couple ou composent un ménage élargi avec leurs enfants adultes, la belle-famille, une nièce ou un neveu.
Dans les milieux populaires urbains cependant, l’équilibre déjà fragile entre revenus de travail et soutien familial devient difficile à préserver en fin de vie. Les salaires parfois très bas des hommes, ceux encore plus faibles des femmes ne permettent pas d’épargner pour la vieillesse. À un certain âge, le veuvage pour une épouse, la perte d’un emploi pour un travailleur, une maladie soudaine ou des forces simplement déclinantes suffisent à faire basculer dans l’indigence.
Plutôt que les personnes âgées, ce sont ces vieux indigents qui attirent l’attention. Les autorités et les milieux philanthropiques les associent aux incurables, aux infirmes, aux épouses abandonnées ou aux orphelins, c’est-à-dire à ceux qui méritent assistance sans être craints. Jusqu’aux années 1930, vieillesse et pauvreté vont ainsi de pair, liant tout un groupe d’âge à une seule classe sociale.
Entrer de gré ou de force dans les hospices
Peu nombreux à la fin du XIXe siècle, les hospices se multiplient ensuite jusqu’à constituer un réseau de plus de 70 institutions en 1931. La plupart n’hébergent pas que des vieillards. Ils abritent des populations variées, regroupant des personnes âgées, des veuves, des infirmes et même des orphelins.
Bien avant l’ère des résidences du troisième âge, les vieux pauvres constituent les premières générations de personnes âgées à vivre en institution. La vie y est souvent difficile, la discipline stricte, l’intimité inexistante, les soins médiocres, la mortalité élevée et la séparation obligatoire des sexes, y compris pour les époux. L’hospice cristallise les plus grandes craintes du vieil âge, mais représente aussi le refuge ultime. On y entre donc de gré ou de force, mais toujours avec des sentiments mitigés.
Une institution privée appelée Assistance publique
L’institution Assistance publique, malgré ce que laisse croire son nom, est un établissement privé et laïque fondé en 1903. Les Montréalais indigents des deux sexes peuvent y obtenir une aide d’urgence ou être dirigés vers une autre institution prête à les accepter. Dans un article de 1905 de la revue l’Album universel, l’auteur affirme que « Si l’indigent à secourir est un vieillard, [l’Assistance publique] le place dans un hospice ou dans un asile, ou même si, parfois, cela est impossible, elle le garde dans sa vaste et confortable maison de la rue Dorchester ». Les photos qui accompagnent le texte laissent deviner le caractère rudimentaire de l’aide offerte.
L’un des tout premiers hospices: l’Hôpital Général de Québec
Installé au bord de la rivière Saint-Charles, l’Hôpital Général de Québec se destine spécifiquement aux vieillards dès 1693, ce qui en fait l’un des plus anciens hospices québécois. Ceci ne l’empêche pas d’accueillir d’autres groupes, comme beaucoup d’institutions d’assistance. Entre 1850 et la fin des années 1930, les personnes âgées y côtoient donc des pauvres, des malades, des infirmes et même de jeunes élèves pensionnaires.
L’Hôpital Général est vaste. Dans les années 1880, son mur d’enceinte abrite une foule d’espaces et de bâtiments aux usages variés : une église, des jardins et des potagers, plusieurs cimetières, une laiterie, une basse-cour, une grange-étable, une buanderie, une aile séparée pour les religieuses cloitrées (avec cuisine, réfectoire, infirmerie, chambres, etc.), des dortoirs distincts pour les femmes et les hommes âgés (avec fumoir pour ces derniers), des logements pour le personnel, etc. En 1936, l’hôpital-hospice comprend 270 lits et emploie une soixantaine de personnes.
La Montreal Protestant House of Industry and Refuge
Environ 200 femmes protestantes âgées ont vécu au refuge de la Ladies’ Benevolent Society entre 1832 et 1917, plusieurs d’entre elles y étant restées jusqu’à leur décès. D’autres ont été accueillies gratuitement par l’Anglican Church Home, de sa fondation en 1855 à sa fermeture en 1889. Cependant, la plupart des personnes âgées démunies sont logées à la Montreal Protestant House of Industry and Refuge, fondée en 1863 au coin de Dorchester (René-Lévesque) et Bleury. Fonctionnant comme une « workhouse » typique, les conditions sont difficiles au sein de l’institution. Les malades et les personnes âgées sont toutefois considérés comme des résidents permanents et logés dans une aile désignée.
En 1885, les personnes âgées sont envoyées à la Country House (Old People’s Home), située sur une ferme à Longue-Pointe où on leur demande d’effectuer divers travaux. Graduellement, on accorde plus d’importance aux besoins de santé des patients et des établissements médicaux sont implantés sur la ferme, incluant un centre de convalescence et des hôpitaux. Cette institution est toujours active aujourd’hui, sous le nom de Centre de soins prolongés Grace Dart.
Hospice Gamelin
Le 2 mai 1891, M. et Mme Morissette, un couple de Montréalais pauvres, âgés de plus de 80 ans, se retrouvent à la rue. Les Sœurs de la Providence les accueillent dans leur maison-mère, rue Sainte-Catherine Est. La multiplication de cas semblables les incite en 1894 à construire l’Hospice Gamelin, tout à côté, sur la rue Dufresne. Six ans plus tard, l’institution abrite déjà 209 femmes et hommes âgés.
Le feu qui ravage plusieurs étages de l’édifice en 1924 amène les journalistes à s’intéresser aux conditions de vie dans l’établissement et à prendre l’une des rares photos des pensionnaires âgés. Comme celui qui survient à l’Hospice de La Prairie en 1901 ou à l’Hospice Saint-Antoine sur la rue Saint-Paul en 1916, cet incendie n’est ni le premier ni le dernier à se produire dans des institutions pour personnes âgées, où les mesures de sécurité font souvent défaut.
Hospice de Trois-Rivières
Lorsqu’elles arrivent à Trois-Rivières dans les années 1860, les Sœurs de la Providence entreprennent la construction d’un ensemble de bâtiments dont un hospice. Ce dernier est la première institution de la ville dédiée à l’hébergement des vieillards indigents. Cet hospice accueille 306 vieillards entre 1865 et 1890.
Une entrée précoce à l’hospice
L’habitude de fixer à 65 ans ou 70 ans le début de la vieillesse se généralise au XIXe siècle. Vieillir ne dépend pourtant pas seulement du nombre d’années vécues. Usés par l’indigence ou la maladie, certains individus sont rangés dès la cinquantaine dans la catégorie des « vieillards » et placés en institution. Ainsi, Marie, une veuve indigente de 54 ans qui souffre d’urémie, entre à l’Hospice des Sœurs de la Providence de Montréal en octobre 1933. Toutefois, le conseil municipal de sa ville de résidence, Saint-Amable-de-Verchères, refuse de lui reconnaître le statut d’indigente. Conformément à la Loi de l’assistance publique, cette décision fait l’objet d’un appel devant une cour de magistrat qui fait enquête sur sa situation. L’enquêteur Armini Chevalier établit qu’elle a habité toute sa vie à Saint-Amable, que ses cinq enfants sont trop pauvres pour s’en occuper, y compris ses deux filles adultes qui travaillent déjà à l’Hospice des Soeurs de la Providence. Le juge Tétreau, après avoir reconnu le statut d’indigence de Marie, oblige donc le conseil municipal de Saint-Amable à payer sa part des frais d’entretien de son ancienne résidente à cet hospice.
Les pensions aux vieillards indigents
Les années 1920 et 1930 constituent un tournant important. À l’Assemblée nationale, dans les hospices, les familles et la presse, une question soulève des débats enflammés : l’État doit-il verser une petite pension aux citoyennes et aux citoyens pauvres, âgés d’au moins 70 ans ? La plupart des provinces ont accepté cette mesure lancée par le gouvernement fédéral en 1927.
Le gouvernement libéral du Québec la rejette pourtant obstinément jusqu’en 1936. Selon lui, les familles de la province veillent fort bien sur « leurs vieux » et les institutions d’assistance prennent le relais, lorsque nécessaire. L’État ne doit donc pas affaiblir ce soutien familial et charitable en distribuant des pensions. En pleine crise économique, la situation des personnes âgées et des familles devient cependant de plus en plus précaire. Des syndicalistes, des philanthropes, des politiciens, des féministes et des journalistes affirment haut et fort que les pensions de vieillesse sont devenues indispensables, au Québec comme ailleurs.
Au milieu du brouhaha, quelques centaines de femmes et d’hommes âgés des milieux populaires écrivent au premier ministre L.-A. Taschereau en 1935 et 1936. Tous crient leur âge avancé, leur pauvreté aiguë et l’indigence de leurs proches. Si beaucoup disent que la pension des vieillards leur permettrait d’échapper à l’hospice, certains affirment avoir tout essayé pour y entrer et ainsi fuir la « misère noire ».
Ces lettres contribuent à convaincre le gouvernement de participer au programme fédéral de pension. Dès 1937, près de 50 000 vieillards indigents touchent une pension, alors qu’ils n’étaient jusque-là que quelques milliers par an à recevoir une aide gouvernementale. Certains utilisent cette pension pour demeurer chez eux ou dans leur famille. D’autres l’emploient comme monnaie d’échange pour faciliter leur entrée dans une institution.